Intention

Malgré son talent et son désir de bien faire, l’humanité ne parvient pas toujours à orienter le cours de son évolution selon son meilleur intérêt. À ce jour, elle n’a mis en œuvre aucune solution qui pallierait son impact écologique. Les dégradations de son milieu, consécutives à sa surexploitation, l’exposent à une perte inédite d’avantages adaptatifs, à des ruptures économiques plus ou moins brutales, à un déclin la confrontant même à terme au risque de disparition. Par ailleurs, des questionnements anciens la taraudent encore : l’humanité ne comprend pas pourquoi elle existe, ni pourquoi tout existe.

Les réflexions présentées sur ce site explorent la question de l’existence, elles tentent de contextualiser l’apparition de l’humanité au cours de l’évolution, également de donner du sens aux émotions contrariées qui surgissent face à la découverte des risques globaux. Il s’agit en particulier d’estimer s’il est possible d’expliquer l’incapacité constatée de l’humanité à contourner l’écueil écologique. Au-delà, la quête est celle d’une cause commune à l’ensemble des phénomènes. L’objectif est moins d’expliquer comment façonner, par exemple, une couronne de plumes ou concevoir une fusée, que d’investiguer d’où proviennent les motivations de l’humain à aller dans l’espace ou marquer symboliquement une supériorité hiérarchique.

La méthodologie suivie envisage une compréhension relationniste de la nature du monde. La structure fondamentale du réel serait comparable à un réseau de relations, dont les objets seraient les nœuds[1]. Toute entité (un objet inerte, un être vivant, un humain ou tout ensemble de tout type d’objets) est considérée comme irréductiblement définie par des liens extérieurs à elle, avec d’autres entités qu’elle-même, dont son intégrité dépend strictement, autant dans l’instant que dans le temps. Dans chaque étude les descriptions dynamiques des interactions entre les objets et systèmes d’objets respectent les lois, principes et processus qui, selon le consensus scientifique actuel, contraignent toute existence : les lois de conservation, la thermodynamique et la sélection naturelle.

Issue de l’évolution, liée physiquement à tout autre chose qu’elle-même et irrévocablement soumise aux principes de la thermodynamique, l’espèce humaine est aussi celle qui croit parfois pouvoir s’affranchir de toutes contraintes. Des hypothèses sont formulées et une “théorie écologique de l’esprit” est introduite : l’humanité serait une espèce singulière en ce qu’elle serait capable de sélectionner, parmi les informations qu’elle perçoit, les plus favorables à son intérêt adaptatif direct et exclusif. Ses capacités de sélection et d’abstraction de l’information, acquises progressivement, lui auraient permis de recomposer mentalement des sous-ensembles informationnels afin d’optimiser son adaptation. En combinant de façon inédite les propriétés du monde, elle aurait pu créer des outils et élaborer des techniques plus complexes et performants qu’aucune autre espèce. L’abstraction aurait également favorisé la composition de “récits occultants” faisant à la fois office d’explication de l’ordre des choses et de moyen de dissimulation de ce que l’humanité aurait estimé contrariant de la réalité.

C’est l’acquisition de la capacité à la sélection de l’information qui aurait engendré cette tension existentielle, cette angoisse dont l’humanité ne parvient pas à se défaire. Obtenir et conserver des avantages adaptatifs implique le développement de techniques que seul l’esprit humain est capable de concevoir. Cependant, la mise en œuvre de ces techniques dégrade le milieu dont l’humanité dépend et compromet le lien avec sa filiation naturelle, dont elle atteint l’intégrité. À terme, la dégradation du milieu est susceptible de remettre en cause les avantages acquis eux-mêmes. Un être humain a la capacité – peu ou prou déployée, en fonction des circonstances – d’agir à court terme contre le vivant dont il est issu et qui le définit encore, à long terme contre l’humanité elle-même. La négociation de cette tension aurait motivé l’humanité à investir les propriétés occultantes des récits, au point qu’ils se substituent entièrement à l’information perçue et soient finalement considérés, de façon illusoire, comme des réalités en tant que telles.

Ces hypothèses sur le fonctionnement spécifique de l’esprit humain ambitionnent une analyse critique et contextualisée des capacités au déni, à l’énonciation de récits et de croyance. L’illusion, favorable historiquement à l’exploitation optimisée du milieu, parce qu’elle dissimulerait efficacement sa destruction, deviendrait auto-réalisatrice du pire dans un monde dont la survenue des limites dépasserait les capacités de l’esprit à les occulter. L’émergence contemporaine de divers obscurantismes pseudo-scientifiques, politiques, moraux ou spirituels, certains s’énonçant même au nom de la science, qui tentent d’éloigner des émotions et de la pensée les lois de conservation, les principes de la thermodynamique et la théorie de l’évolution, témoignerait de tentatives aussi désespérées qu’inefficaces de masquer le risque de finitude.

La disqualification de l’illusion comme stratégie cohérente d’adaptation espère contrecarrer les risques de crispation idéologique, d’accroissement des tensions entre les communautés humaines. La dénonciation des stratégies d’occultation (collapswashing) contribuerait à la définition de nouvelles trajectoires éthiques, au cœur d’un monde chaque jour plus fragilisé, plus hostile à l’existence de l’espèce humaine et de la vie dans son ensemble.

L’Essai sur la raison de tout, qui a motivé les développements qui lui ont succédé, a été terminé dans sa première version en 2004. Issu de réflexions personnelles, il n’a pas d’origine académique. Il constitue une tentative de réponse aux interrogations qui accompagnent fréquemment la sortie de l’enfance, s’ambitionnant à la fois socle méthodologique et théorie cadre.

Cet essai et les travaux qui le prolongent sont soumis à la contradiction, leurs hypothèses pourront être invalidées. Ils ont été menés au départ en parallèle d’une formation en psychologie clinique, puis d’une activité professionnelle de technicien cordiste dans le bâtiment (ouvrier, puis responsable d’agence). Les nouveaux écrits et les prestations contractualisées en lien avec les sujets traités sur ce site sont assurés désormais sous le statut d’indépendant, au titre d’essayiste[2].

Vincent Mignerot

[1] Inspiré de : Carlo Rovelli, Helgoland, Flammarion, 2021.

[2] À la date du 22 juin 2020, mon statut administratif évolue. Si mon activité principale a toujours été celle d’essayiste, j’ai été référencé par l’INSEE sous le code APE 72.20Z : Recherche-développement en sciences humaines et sociales. Ce code APE correspondait alors à une part de mon activité. En 2016 un de mes concepts, “l’heuresthésie” avait fait l’objet d’une publication dans un ouvrage à comité de lecture, pour le compte du laboratoire de recherche ESARS (Groupement de recherche “Esthétique, art et science”, CNRS). Ce statut de chercheur indépendant a accompagné certaines de mes interventions publiques, certains de mes écrits sur le sujet de l’écologie. Cependant mes travaux dans ce domaine ne bénéficient pas de publications dans des revues à comité de lecture. Cette activité sera désormais exercée sous le code 7490B – Activités spécialisées, scientifiques et techniques diverses, sous-classe 74.90.13 : Services de conseil en environnement.

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