Bilan carbone, Illustration par Andy Singer

Méthodologie du bilan carbone

Pourquoi nous ne parviendrons pas à réduire volontairement nos émissions de CO2

« Rien n’est aussi désespérant que de ne pas trouver une nouvelle raison d’espérer. »

Nicolas Machiavel

La protection de l’environnement n’a pas fait ses preuves. Malgré notre volonté de réduire l’impact humain sur l’équilibre écologique vital, l’évolution de nos sociétés reste irrévocablement indexée sur l’exploitation optimisée des potentiels offerts par les ressources naturelles, toujours valorisés à notre profit exclusif. Depuis quelques années que nous constatons avec une plus grande acuité comment la transformation agricole et industrielle de ces ressources implique irrémédiablement des effets autodestructeurs pour l’humanité entière, nous tentons de comprendre les raisons de notre aveuglement passé et de mettre en place des stratégies afin de tenter de moduler, éviter voire réparer les effets délétères de l’existence humaine. Ces tentatives n’ont pas le moins du monde modifié les trajectoires des courbes annonçant notre fin par auto-intoxication.

Singularité écologique, Limits Growth, MeadowsLimits to Growth, The 30‑Year Update

Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers

Nous avons vu dans l’article L’écologie est-elle possible ?, que ce sont bien des lois physiques fondamentales qui nous empêchent toute action positive sur l’environnement dont nous dépendons pour exister (pour rappel : les lois de l’évolution et les principes thermodynamiques, à ce jour universellement vérifiés). Au-delà même du fait que nos ressources n’existent qu’en quantités limitées, ce qui à terme condamne quoi qu’il en soit notre progrès, tout ce dont nous profitons à tel endroit détruit immanquablement l’environnement à un autre endroit, et tout l’écosystème nécessaire à notre existence étant clos et soumis à la dynamique systémique de ses éléments, les problèmes locaux finissent inévitablement par devenir globaux.

Malgré les informations chaque jour plus dramatiques sur l’état du monde, provenant de mesures rigoureuses et parfaitement vérifiables, non seulement nous continuons imprudemment à nous développer, mais nous croyons aussi pouvoir enfreindre les lois de la physique et faire en sorte que ce développement soit « propre ».

Comment parvenons-nous à nous conforter dans de telles errances ? Quels sont les biais dans nos méthodologies de travail, quelles interprétations faussées avons-nous du réel pour que nous restions à ce point naïfs, ignorants, irrationnels ?

L’esprit découpe le réel

Une des raisons qui expliquerait pourquoi nous ne parvenons pas à admettre l’incompatibilité de notre existence avec l’équilibre naturel de l’évolution de la vie sur Terre (la capacité de la vie à se maintenir possible) serait à trouver peut-être dans le fonctionnement même de notre esprit : nous pensons spontanément le réel comme constitué d’objets différenciés les uns des autres, qui semblent avoir leur fonctionnement propre, des limites, des débuts et des fins d’existence aisément discernables. Cette considération du réel faite d’éléments de pensée circonscrits nous facilite leur manipulation dans l’abstraction et leur verbalisation : il est plus aisé de traiter les informations par ensembles distincts (les objets sont définis par des ensembles limités) que par les liens que ces ensembles pourraient tisser entre eux. Si nous devions en effet ajouter aux choses auxquelles nous pensons systématiquement toutes leurs connexions avec d’autres objets, nous serions rapidement dépassés par la quantité d’information à traiter, chaque chose pensée en appelant nécessairement quantité d’autres, potentiellement à l’infini.

Cette capacité à penser en objets circonscrits plutôt qu’en tissages informationnels, en cartographies ouvertes intégrant les liens définissants externes de nos propres pensées est en partie sûrement ce qui nous distingue des autres êtres vivants, c’est en tout cas ce qui nous a permis le développement de nos compétences et favorisé notre créativité. La pensée en objets autorise en effet à l’humain ce dont l’animal est incapable : créer des chaînes de causalité fictionnelles, non construites à partir de l’ensemble des informations perceptibles, disponibles dans l’environnement et dans l’histoire de la relation à l’environnement, mais à partir des seules informations qui permettent le maintien des avantages adaptatifs humains, dont nous savons qu’ils sont nécessairement acquis au détriment de l’équilibre écologique vital. La pensée en objets est la source de toutes nos inventions, elle permet de dépasser les connaissances sur un réel spontanément perçu comme un tout unifié et irrévocable pour en recombiner les conditions à notre convenance : fabriquer des outils plus performants, aménager des abris plus sûrs, inventer des mythes et des dieux aux fonctions rassurantes ou déculpabilisantes.

L’humanité est la seule espèce capable de se raconter des histoires et d’organiser son adaptation en fonction de celles-ci plutôt qu’en fonction d’une réalité qu’elle pourra trouver trop contraignante.

Reconstruire les liens

Mais la nature du monde n’est pas d’être une somme d’objets qui pourraient exister indépendamment les uns des autres. En-dehors de notre pensée, le réel ne se complet pas à tenir ensemble des éléments qui pourraient avoir potentiellement leur autonomie : tout est bien rattaché à une matrice existentielle spatiale et temporelle de laquelle rien ne s’échappe, sauf à disparaître totalement et à ne plus exister du tout.

Qu’en est-il alors de notre incapacité constatée à protéger l’environnement de notre action destructrice ? Si ce que nous pensons est toujours au départ un arrangement opportun avec les limites du monde, notre incompétence ne proviendrait-elle pas en effet de notre incapacité fonctionnelle à penser le réel comme un tout ?

Qu’en serait-il alors de notre investissement – pourtant moralement louable – par exemple dans la réduction de nos émissions de CO2, responsables du changement climatique incompatible avec notre survie à terme ? Sommes-nous seulement capables d’effectuer un calcul objectif de nos émissions de gaz à effet de serre ?

Considérons une entreprise X dont nous souhaiterions connaître le bilan carbone, dans l’objectif d’estimer de ses capacités à réduire ses émissions. Afin de nous assurer de ne pas rester soumis au biais qui semble sous-tendre nos capacités d’analyse et qui serait de considérer – involontairement, mais inévitablement – cette entreprise comme isolée de son inscription au continuum évolutif global, nous devons tenter de redéfinir tous les liens indispensables à son existence. 

–          Quelle qu’elle soit, une entreprise a une histoire. Calculer son bilan carbone complet impliquerait de prendre en compte la totalité de cette histoire, alors même que nous savons grâce au principe physique de non réversibilité que quoi qu’elle puisse changer à son fonctionnement demain, il lui sera à tout jamais impossible de retirer de l’atmosphère le gaz carbonique qu’elle y aura diffusé auparavant (cela ne serait jamais d’une efficacité totale et nécessiterait une énergie dont nous manquons déjà – lire Bloomberg : CO2 Capture Could Raise Wholesale Energy Price 80 Percent).

–          Cette entreprise a des fournisseurs et des salariés, dont elle ne saurait se passer. La totalité du bilan carbone instantané mais aussi historique de tous ses fournisseurs et de tous ses salariés (ainsi que leurs propres modes de vie nécessairement énergivores et émetteurs de polluants) doit être prise en compte.

–          Elle a des clients, sans lesquels elle n’existerait pas non plus. Le bilan carbone total de l’entreprise comprend nécessairement celui de tous ses clients (de même que toute l’histoire de leurs propres émissions de CO2).

–          Le calcul complet du bilan carbone d’une entreprise implique enfin la réintroduction des aspects systémiques de ses interactions avec ce dont elle dépend : ses fournisseurs directs ont assurément eux aussi des fournisseurs, des salariés et des clients, sans lesquels eux-mêmes n’existeraient pas, fournisseurs, salariés qui fabriquent et consomment des produits qui auront généré des émissions de dioxyde de carbone, clients qui ont besoin d’autres produits de consommation courante pour assurer leur propre confort, leur propre sécurité, tous ces produits ayant été fabriqués par des  entreprises au bilan carbone également à considérer, sans oublier que pour avoir même les moyens d’acheter les objets qui assurent leur bien-être ces clients doivent eux aussi travailler pour une société humaine dont aucune des activités est neutre en carbone, laquelle société n’est évidemment pas non plus isolée et tisse des liens existentiels (économiques, industriels…) avec d’autres qui ont aussi leurs propres entreprises soumises aux mêmes besoins existentiels systémiques…

Aucun de ces liens ne peut être coupé si l’on tient à estimer du bilan carbone d’une entreprise réelle et non d’une construction artificielle, créée grâce à l’exercice d’une pensée opportunément oublieuse (supportée par des outils mathématiques qui ne tiennent pas plus compte des oublis), et ce sont bien toutes les sociétés humaines, toute leur organisation interne et toute leur histoire qui se retrouvent convoquées pour estimer de l’impact environnemental véritablement global d’une entreprise, quelle qu’elle soit.

Cette méthodologie de la reconstruction du lien, qui va à l’encontre du fonctionnement naturel de notre pensée est rigoureusement indispensable pour espérer atteindre l’objectivité. Elle pourra d’ailleurs s’appliquer au calcul du bilan carbone d’une famille, d’un data center, d’une ville, d’une région, d’un pays, de même elle pourra s’appliquer à l’estimation de la qualité de l’air ou de l’eau, à la qualité de la gestion des déchets d’une localité, à la performance des énergies renouvelables, à la possibilité d’un commerce équitable ou de la protection de la biodiversité. Aucune de ces problématiques ne peut être extraite autrement qu’artificiellement de son inscription au processus évolutif humain, dans toute son intégrité définissante.

Pour aller plus loin, lire Méthodologie universelle : de quoi dépend l’objet ?

Note : nous nous sommes déjà confrontés à l’exercice de la reconstruction des liens au sujet des émissions de télé qui défendent la protection de l’environnement, nous en avons conclu que leur impact n’était pas celui attendu et qu’elles participaient même assez directement à la destruction de la nature qu’elles entendaient pourtant préserver (article Médias, commerce des illusions et fin du monde).

De l’intérêt du bilan carbone

« Que de choses il faut ignorer pour agir ! » Paul Valéry

Si procéder au calcul d’un bilan carbone pour une entité X en prenant en compte tous les liens dont elle dépend donnerait comme résultat le bilan complet des émissions de toute l’humanité, quel est l’intérêt d’opérer ces calculs biaisés ?

Les entreprises qui auront investi dans la réduction de leurs émissions de dioxyde de carbone auront en effet réduit leur impact local, auront développé des techniques internes aux meilleurs rendements, augmenté la performance des filtres de leurs cheminées, négocié des accords commerciaux avec des fournisseurs de proximité eux aussi plus rigoureux, toutes ces améliorations ayant été obtenues à la suite de pointages obtenus par un audit carbone efficace.

Mais ces progrès, internes, localisés, parfois même seulement ponctuels, n’ont pas de résultats plus globalement positifs, et l’atmosphère de la Terre ne s’emplit pas moins de gaz à effet de serre depuis que nous avons mis en place des stratégies de réduction de nos émissions.

Peut-être parce qu’en plus de ne considérer que partiellement les liens définissant nos plus vertueuses initiatives, nous omettons de prendre en considération notre stricte soumission aux contraintes de la compétition pour l’existence, qui nous motivent tous à défendre les intérêts de nos individualités (notre confort, notre sécurité, notre santé, nos revenus). Au-delà même de nos intérêts directs, il n’existe d’ailleurs à ce jour aucun modèle qui parvienne à expliquer le réel sans admettre la compétition comme étant la justification de toute possibilité d’être et le moteur universel de l’évolution.

Pour toute entreprise la rentabilité est prioritaire, elle est l’indicateur de sa fiabilité contre une concurrence qui à tout moment pourrait s’octroyer des opportunités commerciales laissées libres, un défaut de compétitivité risquant de mettre en péril non seulement les intérêts des patrons, des actionnaires, mais également ceux des salariés et de tout le tissu économique et social qui entoure ces patrons, actionnaires, salariés.

La mise en place de dispositifs de réduction des émissions ayant un coût préjudiciable à la rentabilité immédiate (s’ils peuvent exister, les retours sur investissements sont toujours décalés dans le temps), ce coût doit être compensé sans délai afin de maintenir la position de cette entreprise dans la compétition économique.

La mise en œuvre d’une politique verte n’est ainsi envisageable que si elle reste profitable à la rentabilité : les apports écologiques obtenus d’un côté doivent être compensés ailleurs dans le maillage de la dépendance existentielle de l’entreprise :

–          Plus grande pression sur les fournisseurs

–          Plus grande pression sur les salariés

–          Augmentation des ventes

Le commanditaire d’un audit carbone auprès d’experts doit donc s’assurer que ceux-ci circonscriront leurs calculs aux éléments modifiables sans engendrer de risque de compétitivité, en laissant hors de visibilité ceux qui pourront subir une pression plus forte qui permettra de ne pas impacter la rentabilité globale. C’est le déplacement de la pression de rentabilité vers les liens non visibles qui entraînera la perte du « gain carbone » obtenu sur la partie visible et qui explique que nos efforts restent vains.

–          Un bilan carbone ne tient pas compte de la totalité du fin maillage des fournisseurs d’une entreprise, dont il faut se rappeler qu’il s’étend jusqu’à ceux qui extraient le charbon indispensable au fonctionnement de la centrale thermique qui alimente en électricité le fabricant de la plus petite vis ou du plus simple joint de n’importe quelle machine industrielle. Un bilan carbone vertueux au sommet de cette chaîne de productivité ne dit rien des éventuelles modifications des émissions de CO2 des éléments inférieurs non considérés (il est à noter que si le bilan carbone ne tient pas compte de tous les liens définissants une entreprise, la loi non plus, puisque les éventuelles obligations de réduction des émissions s’arrêtent aux frontières des pays… dans un système commerciale et industriel mondialisé).

–          Un audit carbone pourra être accompagné d’un audit sur la rentabilité de l’entreprise, dont les salariés subiront les effets sur leurs avantages et leur confort au travail, ce maillage lui aussi s’étendant par les fournisseurs jusqu’aux postes de travail dans les mines de charbon. L’ambition écologique participe alors d’un potentiel échec social, humain. Cette pression sur les salariés n’est certes pas elle-même génératrice de CO2, mais pas plus noble pour autant.

–          Les calculs prospectifs qui motivent les entreprises à se soumettre aux audits carbone n’ont sans doute jamais manqué d’espérer un gain direct sur les ventes : notre crainte à tous de la destruction de l’équilibre vital est telle que nous préférons acheter des biens estampillés « verts ». Les éventuels gains locaux d’émission de carbone sont perdus par le maintien voire l’augmentation du volume des ventes des produits manufacturés dont la fabrication reste polluante mais qui sont désormais verdis, voire moralisés. Une entreprise devenue verte ne manquera pas de se développer si elle en a l’opportunité, et ses émissions de CO2 suivront ce développement (sans oublier, encore une fois, les émissions de toute le la chaîne des fournisseurs).

–          Enfin, et c’est là peut-être l’effet contre-productif le plus important, le bilan carbone d’une entreprise ne tient pas compte de celui de ses concurrents, dont tous ne s’engageront pas spontanément dans une protection de l’environnement dont on sait qu’elle est un risque pour la compétitivité, sous prétexte qu’un leader fait des efforts. Ces concurrents profiteront sûrement de ne pas être soumis aux mêmes réglementations environnementales (combien de sociétés, sur le total, doivent obéir à des réglementations vraiment contraignantes de par le monde ?) et continueront à rester compétitifs par les moyens les plus sales mais les plus rentables possibles.

Telles sont les conditions sine qua non de la possibilité du bilan carbone : que les liens dont dépend le commanditaire intégrés à ce bilan soient circonscrits à ceux qui suffisent à le valoriser écologiquement, sans tenir compte ni de ceux de ses concurrents ni de ceux qui vont lui permettre un effet rebond productiviste, indispensable s’il ne souhaite pas être pris de vitesse dans une compétition qui reste d’autant plus rude que ses rivaux ne manqueront pas de profiter de la moindre baisse de compétitivité, toute « écologique » soit-elle.

Mais ce qui assurément annule tout effet positif du bilan carbone est le bénéfice narcissique qui en est inévitablement retiré, que ce soit pour le commanditaire ou le fournisseur : le premier valide une initiative valorisante, le second propose une prestation ayant les apparences d’un effort efficace pour la protection de l’environnement et les deux communiqueront assurément sur cet écologisme de façade que nous serons d’ailleurs chacun très prompts à valoriser lors de nos achats et à relayer sur nos réseaux pour profiter également de ce greenwashing de convenance.

Le résultat que nous mesurons de façon concrète et qui se montre par l’inflexibilité des courbes d’émission de Co2 anthropique est qu’un espoir est maintenu possible, qui entretient les performances compétitives du système anthropotechnique : le message du bilan carbone, celui qui est écrit dans les compte-rendus aux actionnaires et vantés sur les panneaux publicitaires pour le grand public est que la protection de l’environnement est possible… et qu’il reste donc sans conséquence de consommer. C’est le maintien et le développement d’une consommation aux effets délétères dissimulés qui est responsable de la hausse immuable du taux de carbone atmosphérique. Le bilan carbone est un des outils qui maintient nos illusions, il nous permet de ne rien changer collectivement à nos comportements consuméristes et c’est là son plus grand atout commercial. Si celui-ci était objectivement complet, il n’intéresserait personne puisqu’il décrirait le monde tel qu’il est : parfaitement régi par des principes physiques et de compétition dont le strict déterminisme est contradictoire avec l’intérêt évolutif humain à terme.

La protection de l’environnement étant par définition impossible pour l’humain, sa promotion, loin de ralentir notre développement participe à notre aveuglement. Il n’est que de constater la place politique caricaturale des discours écologiques : ils sont promus en période de campagne et mis à l’écart dans les décisions opérationnelles : l’équilibre des forces dans nos gouvernements et les décisions prises pour nos sociétés sont des démonstrations que notre impuissance concrète a besoin d’être dissimulée par des campagnes inobjectives et des exercices de communication ciblée, validés souvent par des experts sans objectivité.

Si les travaux de ces experts peuvent être parfois très élaborés, s’il manque ne serait-ce qu’un petit ensemble d’information qui les relient au continuum évolutif universel celles-ci seront non seulement imparfaites, en tant qu’elles ne toucheront pas au vrai de ce qu’elles espèrent comprendre, mais leurs imperfections seront aussi les lieux d’investissement privilégiés du doute supposé salvateur, cette ouverture vers un possible artificiel qui sera entretenu aussi longtemps que le réel ne viendra pas le combler par l’évidence, par la limite physique se réimposant par la fermeture du champ des possibles.

Finalement, qui que nous soyons, notre bilan carbone est toujours celui de l’humanité entière, car les systèmes isolés, ça n’existe pas. Notre bilan carbone est le nôtre direct additionné de ce que nous ne voyons pas spontanément : notre histoire et celle de tous les humaines dont nous dépendons pour exister. La compréhension de notre incapacité à modifier le cours de notre évolution ne peut plus passer pas la simple accusation opportune d’un autre désigné exclusivement coupable par son immobilisme ou par ses mauvais choix (article Dichotomie à l’axe et liberté). La décharge de responsabilité, en plus de souligner notre lâcheté, ne dit rien de la vérité. Celle-ci passe par l’admission que nos initiatives les plus nobles participent efficacement au processus évolutif humain autodestructeur, car elles sont toujours récupérées par la communauté afin de camoufler au mieux ce qu’elle ne veut pas voir d’elle-même.

Il reste vrai que la méthodologie de la reconstruction du lien est difficile à mettre en œuvre, l’esprit humain étant très vite dépassé dès lors qu’une trop grande quantité d’informations doit être traitée. Mais là se trouve sûrement le premier écueil méthodologique à surmonter pour faire correspondre notre pensée avec le déroulement concret des événements : nous ne sommes pas équipés intellectuellement, cognitivement, pour surmonter l’écueil écologique. Admettre notre incapacité à comprendre spontanément le monde de façon holistique est sûrement une des étapes indispensables pour commencer à nous réconcilier avec ce que nous sommes :

PRINCIPE D’HUMANITÉ

Le principe d’humanité est la complexification du lien par reproduction et sélection des êtres humains les plus performants dans la transformation active de l’environnement pour le bénéfice humain ainsi que dans la capacité à rejeter les effets destructeurs de cette transformation.

(Extrait d’Essai Sur la Raison de Tout, paragraphe 4.3.16)

Notre esprit singulier s’est construit selon les contraintes de ce principe existentiel, il nous permet de nous développer en niant les effets nocifs de ce développement. Pour penser – et agir – nous sommes contraints de ne pas connaître le monde, et si nous devions le connaître (en accepter la nature intégrée, la liaison de tous ses lieux et événements avec tous autres), nous serions confrontés à notre vérité : le déterminisme évolutif implique notre autodestruction par auto-intoxication. La dernière blessure narcissique à laquelle nous devrons nous confronter, la seule qui pourra éclairer parfaitement notre nature sera d’autant plus difficile à accepter qu’elle s’accompagnera de la réalisation de notre fin collective.

Notes :

–          Il n’est pas nié ici la bonne foi du militantisme écologiste, certains investissements méritant peut-être même la plus grande admiration. Il est tenté de comprendre pourquoi cet investissement n’est pas récompensé.

–          Il sera peut-être répondu à ce texte que certains d’entre nous ont modifié leurs comportements et réduit à leur niveau leur impact carbone. Afin d’affirmer rigoureusement que cela est vrai et pérenne il faudra que ces personnes reconstruisent les liens dont elles dépendent : dans quelle société vivent-elles, à quelles infrastructures ont-elles accès, notamment pour leur santé mais aussi pour leur confort général et leur sécurité (services de polices, de protection incendie, urgences mobiles accident / santé, qualité des habitats, routes, réseaux de transport en commun, réseaux hydriques, commerces…), ont-elles une protection sociale, des avantages sociaux et, surtout, d’où provient leur argent (à quel type de société appartiennent leur employeur / leurs clients) ? Si les initiatives personnelles de protection de l’environnement ne se trouvent pas récompensées, alors même qu’on peut avoir l’impression de faire pour le mieux, c’est d’abord parce que la protection de l’environnement n’est pas rationnellement possible, mais aussi assurément parce que toutes ces initiatives espérées positives dissimulent bien des sources d’impact qui font vivre même le militant le plus honnête et le plus sincère.

Image en en-tête : Andy Singer

Bilan carbone, par Andy Singer

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