Greenwashing collapswashing

Greenwashing versus collapswashing

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Collapswashing : toute communication qui occulte les effets indésirables ou contre-productifs des stratégies dont l’ambition est de pallier les risques de déclin ou d’effondrement.

Le 6 décembre 2020 a été publié, sur le site de l’Université de Cumbria, un appel aux dirigeants à ouvrir la discussion sur le risque d’effondrement de nos sociétés. À cette date l’appel a été signé par plus de 250 scientifiques et chercheurs de 30 pays. L’ambition est d’inviter les décideurs à s’engager afin de mettre en œuvre un ralentissement, de préparer nos sociétés au risque et d’aider ceux qui souffrent déjà des perturbations environnementales.

Malgré la diffusion de plus en plus grande du discours sur l’effondrement, en 2020 la trajectoire économique de nos sociétés n’a pas encore dévié, en tout cas pas suite à un choix, à une volonté politique. Différents verrous au changement existent peut-être, que nous ne diagnostiquons pas correctement, sur lesquels nous n’avons potentiellement pas de prise ou que nous ne voyons éventuellement même pas.

Parce que la totalité des humains et l’ensemble de la biosphère sont désormais concernés par les effets des activités humaines, en particulier celles des humains les plus riches, alerter sur le péril écologique engage une responsabilité qui, sans aucun doute, implique de ne proposer de prescription ou de préconisation que si on s’est assuré qu’elles n’ajouteront pas de problèmes aux problèmes. Les prescriptions d’écologie politique ont toutes été jusque-là manifestement défaillantes, alors même qu’elles étaient présentées comme étant capables de réorienter nos modèles de développement. Différents implicites ou non-dits ont pu s’immiscer au cœur des récits d’hier, certains pourraient se rejouer demain. Il semble primordial de pouvoir les qualifier afin de les rendre visibles, de lever le voile sur de possibles dénis collectifs.

L’invention de mots ou l’évolution des règles du langage ne suffit assurément pas à changer le rapport au monde. Mais, parfois, un néologisme peut contribuer à le décrire plus précisément, en particulier si le vocabulaire n’a pas suivi une évolution notable du contexte que l’on souhaite comprendre ou diagnostiquer. La notion de « collapswashing » pourrait intégrer le débat, succédant au « greenwashing » ou le complétant*.

Le greenwashing, c’est pour la croissance

Le terme « greenwash » semble être apparu pour la première fois en 1989 dans un article du Newscientist qui alertait sur le double discours écologique des gouvernements et des banques[1]. Le substantif « greenwashing » a ensuite été utilisé par les militants et les ONG soucieux de dénoncer les stratégies déployées par des industriels, des lobbies, des politiques dans l’objectif de dissimuler les effets destructeurs de leurs décisions ou de leurs actions sur le milieu naturel. Même si le terme s’est avéré inefficace pour contrer ce qu’il décrivait, il a tenu une place importante dans la communication et le débat sur la protection de l’environnement. L’écologie politique a accompagné la croissance économique et l’augmentation de la destruction du milieu par les activités humaines sans freiner ni l’un ni l’autre, et les effets de la grande accélération[2] commencent à se faire sentir.

Différents signaux indiquent désormais que la croissance se heurte à des contraintes irréductibles, consécutives à la surexploitation du milieu : proche déclin de la disponibilité de certaines ressources, en particulier énergétiques, réduction des services écosystémiques, effets du réchauffement climatique impactant de plus en plus les humains et l’économie[3]. Le retour de contraintes au fonctionnement de nos sociétés (conflits extérieurs, conflits sociaux, crise sanitaire, chute de la production alimentaire), jusque-là réduites ou repoussées par la puissance de la civilisation thermo-industrielle, fait craindre que certains sous-systèmes qui la constituent (défense et sécurité intérieure[4], système de santé, production alimentaire) défaillent plus ou moins momentanément. Les services rendus par ces sous-systèmes pourraient même décliner ou s’effondrer, en ce sens qu’il deviendrait impossible de les restaurer parfaitement après une crise ou un choc, par manque des ressources nécessaires ou par impossibilité de redynamiser suffisamment l’économie.

Les humains dépendants de ces sous-systèmes devenus défaillants en subiraient les effets sur leur sécurité, leur santé ou leur alimentation[5].

Durant le temps de la croissance la plus rapide les effets négatifs de l’emprise humaine étaient pour l’essentiel compensés par l’augmentation des avantages adaptatifs et par leur partage, même s’il était très inégal, ou rejetés à l’extérieur de son organisation, dans la « nature »[6]. Mais ce sont désormais à la fois le milieu naturel et les communautés humaines elles-mêmes qui deviennent ensemble et globalement concernés par les effets destructeurs de cette emprise. Le « greenwashing » deviendrait alors incapable de qualifier les nouvelles stratégies d’invisibilisation de l’impact, stratégies qui auraient évolué avec ce nouveau contexte.

Alors que le greenwashing est omniprésent dans les débats d’écologie politique mais manque peut-être à caractériser une part importante de la réalité, le collapswashing pourrait prendre le relais afin de désigner spécifiquement les nouvelles stratégies désormais élaborées, consciemment ou non, par les humains les plus privilégiés en contexte de diffusion à grande échelle du discours sur le risque d’effondrement.

Se distinguant du greenwashing et s’inscrivant dans de nouvelles circonstances écologiques et économiques, le collapswashing désignerait tout récit occultant qui omettrait ou invisibiliserait, intentionnellement ou non, les effets sur le milieu et sur d’autres humains des stratégies liées à l’obtention ou à la conservation d’avantages adaptatifs par les humains qui en bénéficient, alors qu’il serait possible d’attester que ces avantages ont des effets négatifs dans l’immédiat ou à terme sur le milieu ou sur d’autres humains[7]. Le collapswashing caractériserait des récits institutionnels, des programmes politiques, des prescriptions faites par des élites intellectuelles, des contenus médiatiques, le business model de start-up ou sociétés de conseil investissant le marché de l’écologie de crise et de l’effondrisme.

Le collapswashing des nouveaux récits

Obtenir des avantages adaptatifs semble pour l’humanité toujours lié à une part de dégradation du milieu dans lequel les humains eux-mêmes espèrent vivre, aussi bien et aussi longtemps que possible. Le succès de certains récits écologiques associés aux perspectives de déclin ou d’effondrement pourrait trouver sa source dans leur capacité à renouveler les modes de dissimulation des effets de cet impact anthropique sur l’humanité elle-même, rendant les risques artificiellement plus aisés à dénier, en tout cas à gérer émotionnellement.

Parmi les différents récits occultants susceptibles d’être diffusés autour des risques, une forme de scientisme pourrait se révéler opérer un collapswashing. Celui-ci proviendrait de l’affirmation que les scientifiques auraient démontré que le « passage à l’action » permettrait de réduire l’empreinte environnementale de l’humanité, de modifier les perspectives de réchauffement climatique, de réduire la destruction du vivant, également de pallier les difficultés que vivraient les humains exposés aux conséquences du déclin économique. Il faut souhaiter que cela soit possible et tout faire pour que cela soit possible, mais la science est incapable de démontrer que c’est possible, et ça n’est pas son rôle. Les énoncés mêlant confusément science et politique menacent d’alimenter une défiance des citoyens envers la science elle-même. Si « l’action » s’avérait inefficace, ils pourraient associer cet échec dans la résolution de leur mal-être avec un outil qui n’a pour fonction initiale que de contribuer à l’accès à la connaissance, non de résoudre les conflits de gouvernance ou d’orientation sociétale. Les apports de cet outil pour appréhender les risques écologiques ou sanitaires par exemple en seraient contrariés, cela augmentant potentiellement ces mêmes risques.

Nous observerions peut-être déjà une forme de collapswashing millénariste. Un effondrement serait désirable parce qu’il serait la condition nécessaire à un « renouveau », à une « renaissance » ou à un retour aux modes de vie des temps anciens, estimés vertueux sur le plan écologique. Ces récits, tels qu’ils existent aujourd’hui, sont souvent conditionnés à une reconnexion avec une nature sacrée, déclarée bonne et bienveillante ou à un « retour aux sources » anthropologique grâce à la réadoption de modes de vie semblables à ceux de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, suivant des gouvernances issues des modèles anarchistes. Le renouveau pourrait n’être accessible, dans ces prescriptions, qu’à ceux qui auront suivi la posture spirituelle, le récit anthropologique ou le récit politique énoncés. Ceux qui ne voudraient pas ou ne pourraient pas suivre ces voies risqueraient d’être invisibilisés, exclus du projet, plus ou moins sciemment désignés pour disparaître en premier suite aux conséquences de l’effondrement souhaité.

Sur le plan politique spécifiquement, les récits dits « de droite » (qui promeuvent, de façon assumée ou non, l’exercice d’une forte pression sur la productivité des ressources naturelles et humaines ainsi que la concentration d’une grande quantité de richesse), comme les récits dits « de gauche » (qui défendent la massification du partage de la production et des avantages qui en découlent), pourront être tentés d’investir le collapswashing. Il s’agirait de dissimuler au mieux les effets négatifs historiques et à venir de l’intensification ou de la multiplication.

D’autres collapswashings sont envisageables, portés par exemple par la croyance en la capacité de l’humanité à s’autodéterminer en toutes circonstances, par les prescripteurs qui parient sur la capacité de la modification des rapports de force politiques à faire tomber les supposées causes des problèmes contemporains (la technique, la civilisation, le capitalisme par exemple), par ceux portés par divers positivismes technologisants, transhumanistes ou qui espèrent que de nouvelles formes de transformation de la planète contribueront à résoudre nos problèmes (géo-ingénierie). Tous sont susceptibles d’occulter l’existence de ceux qui devront payer le prix de leur possible échec.

Les récits de collapswashing pourraient être favorablement énoncés et entretenus par les sociétés ou par les classes sociales qui au cours du temps auront développé la plus grande résilience, qui leur aura permis de conserver plus longtemps leurs avantages dans un contexte chaque jour plus contraint sur le plan économique. D’autres sociétés ou classes autour d’elles pourraient être condamnées à subir les externalités négatives de la conservation par quelques-uns de ces avantages, et seraient plus directement exposées aux difficultés adaptatives et au risque d’écroulement[8]. Leur invisibilisation serait opportunément entretenue au bénéfice de la déculpabilisation des privilégiés.

Les jeunes générations pourraient être paradoxalement spécifiquement motivées à promouvoir, même inconsciemment, le collapswashing. Elles sont plus informées que leurs aînés du rapport destructeur de l’humanité avec son milieu et cette connaissance peut être émotionnellement difficile à supporter. Les plus jeunes sont de surcroît directement concernés par les effets de long terme des impacts historiques.

Dans l’ensemble, énoncer toute forme de collapswashing pourrait avoir des effets sur les capacités d’adaptation de nos sociétés au nouveau contexte écologique. Faire des promesses que l’on est susceptible de ne pas pouvoir tenir (il n’y aura pas de destruction, il n’y aura pas de souffrance) entraînerait un rapport artificiellement confiant en l’avenir ou dans les capacités spontanées de l’humanité à maîtriser les situations auxquelles elle se confronte. Des récits fondés sur des croyances pourraient en particulier retarder la mise en œuvre de stratégies qui auraient été, elles, plus performantes dans la prise en compte de la peine d’autrui, parce qu’elles auraient été moins aveugles aux conséquences de leur déploiement. Les récits occultants risquent aussi de générer de la réactance : les humains dont l’existence serait invisibilisée pourraient tenter d’être à nouveau intégré dans un récit, quitte à adhérer à d’autres récits mensongers mais qui considèreraient leur souffrance et leurs attentes. La défense de ces récits « alternatifs » serait susceptible de prendre toutes les formes possibles et ceux-ci pourraient être investis par seul besoin de reconnaissance existentielle, sans que la démonstration soit faite que les promesses de ces récits alternatifs puissent être mieux tenues. Alors que les « nouveaux récits » écologiques auraient prétendu vouloir bien faire ils n’apporteraient en réalité aucune solution et leur collapswashing aurait pour conséquence une « guerre des récits » qui attiserait un chaos politique, social et moral. Paradoxalement, les risques de déstabilisation sociétale et d’effondrement en seraient augmentés.

Un collapswashing universel

Les principales distinctions entre le collapswashing et le greenwashing pourraient être les suivantes :

  • Le collapswashing ne se limiterait pas à la description naturaliste du rapport de l’humain à son milieu : une nature (à protéger ou non) d’un côté, une humanité de l’autre. Tout ce qui peut s’effondrer pourrait subir une invisibilisation, des écosystèmes autant que des fonctions internes aux sociétés humaines, des institutions, des services etc.
  • Il se jouerait dans un contexte différent, celui de l’après croissance. Il permettrait également de qualifier des prescriptions invitant à réduire l’emprise humaine, vertueuse pour le milieu et pour le long terme, mais qui invisibiliseraient des impacts délétères de court terme pour l’organisation des sociétés.
  • Il qualifierait aussi les stratégies d’invisibilisation ciblée de la souffrance des humains eux-mêmes, consécutive à la dégradation de leurs conditions de vie due au dysfonctionnement d’institutions et de services.

Si le collapswashing peut contribuer à une meilleure description du nouveau contexte de l’adaptation humaine, à mieux identifier les forces en présence et leur puissance conservatrice ou réactionnaire, il ne résout pour autant aucun de nos problèmes. Nous sommes tous aujourd’hui, peu ou prou, impliqués dans l’exaction écologique, et notre cerveau ne semble pas fait pour regarder la mort en face en permanence[9].

Nous pratiquons tous, d’une façon ou d’une autre, le collapswashing et nous continuerons demain à négocier avec nos contradictions.

[1] Newscientist : Aid to disaster, 7 octobre 1989. Depuis la page Wikipédia « Greenwashing ». Dernière consultation le 8 décembre 2020.

[2] Steffen, Will & Crutzen, Paul & Mcneill, John. (2008). The Anthropocene: Are Humans Now Overwhelming the Great Forces of Nature. Ambio. 36. 614-21. 10.1579/0044-7447(2007)36[614:TAAHNO]2.0.CO;2

[3] Description de ce contexte écologique en 4 vidéos de 15 minutes sur la chaîne YouTube de l’association Adrastia.

[4] En décembre 2020, en France, l’évolution possible de la loi fait craindre une dérive sécuritaire et autoritaire.

[5] La sécurité, le soin et l’alimentation sont considérés ici comme des conditions nécessaires à l’existence humaine et à l’accès à la satisfaction d’autres besoins existentiels.

[6] Descola P., Par-delà nature et culture, Paris. Gallimard. 2005

[7] Voir également la notion de « refoulement du distributif », proposée par Laurent Mermet (26 novembre 2018).

[8] Pour aller plus loin sur le rôle des récits, leur lien avec le rapport au milieu naturel et leur fonction dans la construction des rapports de classe, voir cette conférence et les références en lien dans la description : L’impasse de l’anticapitalisme, Sciences Po Lyon, 19 février 2020 (Vincent Mignerot).

[9] Y. Dor-Ziderman, A. Lutz, A. Goldstein, Prediction-based neural mechanisms for shielding the self from existential threat, NeuroImage, Volume 202, 2019, 116080, ISSN 1053-8119, https://doi.org/10.1016/j.neuroimage.2019.116080

*Précision étymologique : si le greenwashing se traduit par « repeindre en vert », « nettoyer la réalité comme si on pouvait à la fois détruire et protéger le milieu », le collapswashing entend dénoncer les récits qui euphémisent les difficultés d’un nouveau contexte écologique et économique. Le terme pourrait se traduire par dissimuler la réalité (wash), au titre d’un récit sur l’effondrement (collaps).

 

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