Politique et compatibilisme écologique
Le site franceinfo.fr publie le 1er février 2022 une tribune intitulée : Crises environnementales : 1400 scientifiques appellent les candidats à la présidentielle et les médias à sortir “des discours de l’inaction”. Les auteurs de la tribune, souhaitant qu’un débat s’ouvre sur le sujet décisif que constitue la crise climatique et environnementale, listent un nombre important de difficultés inhérentes au passage à l’action. Chaque question posée formule à sa façon les injonctions paradoxales auxquelles les prescriptions politiques espérées écologiques doivent se confronter. En particulier :
– Comment réduire l’empreinte environnementale sans impacter l’économique et le social ?
– Comment réduire l’empreinte environnementale quand d’autres États feraient moins d’effort, et profiteraient même des efforts des plus volontaires ?
En réponse à ces questionnements les auteurs affirment :
“Il n’existe pas de remède miracle, de panacée totalement indolore. L’innovation technologique ou les injonctions individuelles à la sobriété ne suffiront pas à elles seules.”
Il est possible d’être plus clair : agir aujourd’hui pour réduire les risques demain impliquerait de réduire intentionnellement et tendanciellement son PIB pour un pays, ses revenus pour un foyer, dans l’ensemble ses avantages acquis, son pouvoir d’achat… c’est-à-dire son pouvoir d’agir et ses capacités à défendre ses intérêts existentiels de court terme. Les plus privilégiés devraient s’engager en premier. Cette prescription serait la seule réellement efficace pour la préservation du milieu (prescriptions complémentaires précisées dans le livre L’Énergie du déni). Elle est cependant peut-être inapplicable, parce que la rivalité économique l’empêcherait, ou parce que les humains qui devraient fournir les efforts en premier choisiraient, pourquoi pas même démocratiquement, au titre de leur liberté, de préférer la facilité. Dans ce cas, demander l’impossible aux politiques les motiverait plus encore à énoncer des injonctions paradoxales, en réponse aux demandes paradoxales.
À l’avenir ne pas énoncer clairement, ou ne pas demander l’énonciation claire de la seule prescription qui réduirait l’impact, et ce malgré le risque de son inapplicabilité est susceptible de convertir de nouveau – comme toujours ? – les meilleures intentions en collapswashing : les politiques promettront la compatibilité entre les activités humaines et la protection du milieu, dissimulant derrière leurs promesses l’impact réel de ces activités sur les humains et le milieu.
La décennie 2020 pourrait marquer une rupture dans l’énonciation des récits organisateurs. Soit les termes des débats sont désormais exprimés de façon transparente et les réponses des politiques tendront vers une plus grande cohérence : oui, ou non, il est possible d’agir ; soit les acteurs de l’écologie politique continueront à s’accorder, sans nécessairement en avoir conscience, pour se mentir, et les discours deviendront de plus en plus fantasmagoriques et obscurs.
Adapter les sociétés humaines à un monde qui évolue est une chose, c’est le rôle du politique. Adapter les sociétés et “en même temps” réduire leur empreinte environnementale constitue un tout autre programme, pour lequel le politique est potentiellement impuissant*. C’est le constat à ce jour. Il est à craindre que l’adaptation et la protection de l’environnement restent longtemps encore confondues, au profit des sociétés et des acteurs de ces sociétés qui profiteront le plus de la confusion.
*Les récits contemporains d’écologie politique font fréquemment appel à ce sophisme :
Le terme d’adaptation semble partiellement employé. [Qui] [est adapté / s’adapte à] [Quoi] (selon qui). N’est-ce pas l’absence d’un “Quoi”, développé, clairement défini, qui fait du ‘discours d’adaptation’ un collapswashing ? Ne gagnerait-on pas sur ce plan à systématiser un emploi complet ? Et pour la subsidiaire : le traitement du “selon qui” serait-il un renforcement de cet usage critique en anticipant la critique en subjectivisme ?