Marches climat, Photo par Jean-Philippe Ksiazek

Quelles actions après les marches pour le climat ?

Marches climat, Photo par Jean-Philippe Ksiazek

« Quelque 350 000 personnes ont défilé, samedi, en France. Alors que le mouvement s’enracine, pour beaucoup, il n’est plus temps de débattre mais d’agir. »

Lien vers l’article du Monde, 18 mars 2019, par Audrey Garric et Rémi Barroux

La seule « action », pour un humain vivant dans un pays riche, qui pourrait avoir un éventuel effet positif sur l’avenir climatique serait qu’il réduise ses revenus pour atteindre aussi vite que possible un niveau proche du RSA, que plus jamais il n’ait de revenu plus élevé et qu’il ne fasse pas appel à la sécurité sociale ou à une quelconque assurance collective lorsqu’un problème survient (santé, habitation, accidents divers). Si ce programme paraît trop ambitieux, il s’agirait dans tous les cas de bénéficier de moins d’avantages et d’être moins riche chaque jour, pour toujours. Et ce sans oublier que ce type d’effort pourrait ne pas être fourni par d’autres, qui profiteraient alors des avantages et richesses potentielles laissés libres (emplois, biens matériels, ressources diverses inexploitées), ce qui annulerait au final les résultats vertueux pour le climat ou l’écologie en général.

Selon le dernier rapport du GIEC, organisme prudent et conservateur par nature, les actions à mettre en œuvre afin de rester sous les 1,5°C de réchauffement doivent mener peu ou prou à une réduction du PIB mondial de moitié pour 2030, réduction poursuivie sensiblement sur le même rythme ensuite (le lien est très fort entre les émissions de Gaz à Effet de Serre et le PIB, aucune substitution des énergies émettrices de CO2 n’est observée à ce jour, cela étant peut-être même impossible pour l’objectif climatique, en particulier à cause des délais). Dans l’objectif de rester sous le seuil des 2°C la perspective pour le PIB est la même, décalée de quelques années. Le GIEC précise que la mise en œuvre à l’échelle de techniques de recapture du CO2 relève aujourd’hui essentiellement de la spéculation. Pour un pays comme la France, 7ème puissance mondiale, l’effort économique serait bien plus important qu’en moyenne mondiale. Si nous ne parvenons pas à atteindre ces objectifs économiques, franchir le seuil des 2°C au cours de ce siècle mènerait à des trajectoires climatiques imprédictibles, chaotiques, potentiellement hostiles à l’existence de la plupart des espèces, y compris la nôtreAucune espèce contemporaine n’a en effet rencontré historiquement les niveaux de chaleur qui pourraient être atteints.

Il n’est pas sûr qu’on ait bien informé les manifestants des marches pour le climat à la fois des enjeux et des arbitrages collectifs nécessaires. Les citoyens qui auront été trompés par des espoirs infondés pourraient d’ailleurs se retourner un jour — violemment — contre ceux qui les auront émis.

En particulier, envisager une issue écologique en confondant les moyens et les causes paraît hautement hasardeux, voire risqué. La cause de nos problèmes n’est par exemple ni l’État ni le capitalisme, qui sont des moyensmis en œuvre pour servir la cause réelle de ces problèmes, qui est notre niveau de vie global (le flux d’énergie et de ressources qui traversent nos sociétés), obtenu grâce à ces moyens déployés afin d’optimiser l’exaction écologique dont nous profitons tous. L’État et le capitalisme sont des outils développés à l’échelle de ce que nous les soutenons par nos revenus, nos choix de consommateurs et, surtout, par les systèmes d’assurance et différents acquis sociaux que nous ne voulons plus perdre (voir la dernière partie de l’ouvrage Transition 2017 : Réformer l’écologie pour nous adapter à la réalité).

Une promesse qu’on ne peut pas tenir est tout autant toxique, qu’elle provienne du haut ou du bas de la société. La jeunesse aujourd’hui se trompe de cible en attaquant “le système”. Cette jeunesse est le système, comme tout un chacun. Même mal, même en mauvaise santé ou en souffrance psychologique, aucun de nous n’existerait sans l’exaction écologique globale, portée par des États puissants et un système économique qui n’est que le prolongement de notre avidité commune, y compris dans la pression qu’État et capitalisme exercent sur ceux qui souffrent le plus des excès et dérives morales que nos niveaux de vie impliquent.

C’est à notre angoisse existentielle que nous devons nous confronter, qui expose à une insupportable double peine : vivre malgré tout, en assumant par soi-même que la vie humaine n’est jamais neutre pour le milieu naturel (voir mon intervention à Sciences Po Reims sur ce sujet). Rejouer perpétuellement le conflit interne, celui-là même qui, en effet, a fait acquérir des avantages à l’humanité au détriment du vivant nous expose, désormais que les possibles économiques se réduisent, à augmenter la souffrance globale, sans réduire l’impact écologique pour autant. De l’Afrique du Nord après les printemps Arabes jusqu’au Brésil en passant par l’Italie, l’Espagne, la France peut-être… se tromper de cible est ouvrir grand la porte aux obscurantismes de toutes sortes, notamment politiques, qui se réjouissent par anticipation de la fragilisation des institutions et de la chute des élites en place, impatients qu’ils sont de prendre le relais en augmentant encore le niveau de corruption, légitimés par un peuple habilement instrumentalisé, à qui l’on raconte une histoire simpliste et illusoire sur l’origine de nos problèmes globaux. Il n’y a pas d’héroïsme à défendre des convictions fondées sur des développements convenus et démagogues, des récits candides sur le monde. L’impossibilité de devenir force de proposition politique, intrinsèque à ces discours hors-sol prépare le terrain au pire, après l’éventuelle chute des boucs émissaires.

Dans l’ensemble prenons garde au faux dilemme : les stratégies pour défendre les droits humains, parfois les “droits de la nature” (si la notion a un sens), qui ont fonctionné en période de croissance ne garantissent aucunement d’obtenir de quelconques résultats équivalents en contexte de déclin économique global. Le jeu pourrait devenir perdant/perdant. Les héros et martyrs autoproclamés de ces conflits finalement perdus pour tout le monde, surtout pour les peuples, en tireraient alors bien peu de gloire.

Des propositions politiques existent pourtant pour la suite. Mais nous ne voulons pas les accepter. Les sociétés qui géreront le mieux leur déclin tout en maîtrisant à la fois la rivalité avec d’autres sociétés et leur propre impact écologique sont celles qui réapprendront notamment à gérer le sacrifice, collectivement et dans la minimisation de la souffrance. Mais le sacrifice malgré tout.

Cette conférence du 5 décembre 2018 explore la façon dont les élites, en place ou en devenir émettent des “récits positifs” autour de l’écologie afin de rendre invisibles les individus et communautés qui souffrent déjà, et de ne pas assumer ces sacrifices qu’elles souhaitent voir d’autres faire à leur place. L’anticapitalisme fait partie de ces récits. Il permet une défausse qui disculpe facilement mais artificiellement, il peut augmenter les tensions sociétales et dans tous les cas ne répond à aucune de nos questions existentielles.

Comme c’est le cas depuis l’apparition de l’anticapitalisme.

Extrait du dernier rapport du GIEC, qui botte lui-même en touche à propos de la faisabilité économique du changement de trajectoire climatique :

« La littérature sur les coûts totaux d’atténuation des trajectoires d’exposition à 1,5°C est limitée et n’a pas été évaluée dans le présent rapport. Des lacunes subsistent dans l’évaluation intégrée des coûts et des avantages de l’atténuation à l’échelle de l’économie, conformément aux trajectoires limitant le réchauffement à 1,5°C. {2.5.2, 2.6, Figure 2.26} »

Crédit image : manifestation pour le climat le 16 mars à Lyon. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP — Source Le Monde

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